— Comment était ton père ?
— Sévère, oh ! Sévère, tu ne peux pas savoir ! A la maison, ça marchait droit, on le craignait parce qu’il usait de la ceinture. Je me souviens, une fois, j’ai reçu une raclée terrible, la plus terrible de mon enfance, je crois.
— Qu’avais-tu fait ?
— Ma petite sœur Yvette et moi dormions dans la chambre de nos parents et nous faisions un peu les folles dans notre lit alors que mon père voulait dormir. Il nous a menacées plusieurs fois de se lever pour nous ficher une rouste et ma sœur lui a répondu : Alors lève-toi ! Qu’est ce que tu attends ? Mais elle a eu le temps de filer dans le lit de mes parents pendant que mon père attrapait sa ceinture. Ma pauvre ! J’ai pris la raclée et crois-moi, il n’y est pas allé de main morte. J’en ai gardé des traces sur le dos et les jambes pendant plusieurs semaines.
— Tu as payé pour l’insolence de ta sœur. Parle-moi encore un peu de lui.
— C’était un homme fort, très costaud mais pas très grand. Il souffrait d’une sorte de bronchite chronique à cause des gaz respirés pendant la Grande Guerre. Comme ma mère, il ne savait ni lire ni écrire. Vois-tu ! Il était autoritaire mais il aimait bien rigoler avec nous. Je me souviens qu’il faisait des bruitages comiques en faisant vibrer sa voix tout en se tapotant la poitrine avec ses grandes mains. Il nous répétait souvent : Nous ne sommes peut-être pas riches mais nous sommes des gens honnêtes. Nous comprenions le message, surtout les filles. Nous savions que son plus grand déshonneur serait de voir l’une d’entre nous tomber enceinte avant le mariage. Là, il nous aurait fichues à la porte, c’est sûr !