C’est maintenant une interférence entre ma femme et moi. Un larsen qui vient grésiller au milieu de ce que je pensais n’être qu’harmonie. Le constat est amer et j’en veux à la vie. Oui à la vie. N’as-tu jamais eu cette sensation étrange d’être passé à côté d’une meilleure destinée ? De t’être fourvoyé sur la mauvaise voie ? C’est mon cas depuis ma rencontre avec cette femme. Pourquoi la vie ne nous a pas placés sur le même chemin plus tôt ? Je réalise que c’est auprès d’elle que je devrais être. Depuis toujours… Par ces yeux, je me découvre, je me forge, je suis vivant. Je suis. Je pourrais me fondre en elle pour renaître en nous. Mais c’est trop tard, il est toujours trop tard même si les poètes clament le contraire. Un sale tour du destin « Vous vous croiserez, vous vous reconnaitrez et devrez vous fuir… » Entre le sixième et le neuvième commandement. Il est loin le Sinaï et pourtant…
Cette femme, je ne l’ai jamais rêvée, comment aurais-je pu imaginer pareille osmose ? Elle s’est imposée à moi comme une évidence et maintenant, elle est en moi à chaque instant. Voir, entendre, goûter, sentir, toucher… Ces verbes n’ont plus de résonnance en moi parce que je ne peux les partager avec elle. Que me reste-t-il ? Paraître celui que tous veulent voir, sourire quand le cœur saigne, espérer quand l’âme n’a plus d’écho…
Se tenir debout mais se savoir mort en dedans.
A la mort de mon père et de mes oncles, emportés par une terrible épidémie de peste, j’avais atteint une trentaine d’années et je guerroyais aux côtés de Childebert II. Ce très jeune monarque mérovingien régnait sur la Bourgogne, Paris et l’Austrasie et m’avait en grande estime jusqu’à me réclamer auprès de lui lors de nos nombreuses campagnes. Une de celles-ci nous mena sur les chemins de la Lombardie. Par une triste journée voilée de brumes épaisses, nous dûmes traverser un sentier étroit serpentant entre d’abruptes falaises ; configuration idéale pour tendre une embuscade. J’en fis part à mon roi mais à l’instant où, conscient du danger, il prit la décision de contourner le passage resserré, une horde armée jusqu’aux dents nous fondit dessus. La bataille fut impitoyable et le sang coula dans les deux camps. Je protégeais Childebert de mon corps lorsqu’un géant italien tenta de l’embrocher. Sain et sauf, le roi parvint courageusement à trucider la brute ainsi l’engagement prit fin sur notre victoire, l’ennemi en déroute. Au moment de compter nos pertes en soignant les blessés qui pouvaient l’être, le roi découvrit mon corps inerte, une lame profondément fichée dans mon abdomen. J’étais mourant.
On m’installa sous une tente, prestement dressée à la sortie du goulet meurtrier. D’après ce qui me fut rapporté plus tard, le roi ne quitta pas mon chevet, il ôta la lame et compressa lui même l’hémorragie. Triste et solennel, il sortit et proclama mon décès à la troupe assemblée autour du campement. Tous, du preux combattant au simple écuyer mirent genou à terre en hommage au grand guerrier que je fus. C’est à cet instant précis qu’une terrible quinte de toux me prit. Assis sur ma paillasse, les yeux révulsés par d’affreux spasmes pulmonaires, je vis débouler sous la tente le roi et deux frères d'arme. Je n’étais point mort. La plaie miraculeusement refermée ne laisser apparaître qu’une légère éraflure de teinte rosée... Ce fut un mystère, on parla de diablerie, de pouvoir divin, de tromperie mais jamais personne de devina la vérité. Comment auraient-ils pu savoir lorsqu’un secret est si bien gardé ? Le roi, trop heureux de savoir son fidèle ami en excellente santé, demanda promptement à la troupe de ne plus aborder l’énigme de la résurrection de Chlodebert le Puissant. Cela resterait une question sans réponse mais les ordres ne furent jamais désobéis. Je sus bien plus tard que ces hommes aguerris aux plus rudes combats, ayant tous un jour ou l’autre vu la mort en face, me craignirent dès cet instant et décidèrent conjointement de ne jamais rien perpétrer qui puisse déclencher mon courroux. C’est ainsi que je commençai à susciter la frayeur chez les mortels.
« Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu’écrit la raison. Il faut demeurer entre les deux, tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit ». André Gide.
Je crie ton nom dans le ciel du silence,
Entends ma voix dans les sons en errance,
J’appelle les nuages pour venir te parler,
Ecoute le vent, il te dit mes pensées.
Je lance dans les eaux l’au secours de ma vie,
Reçois dans ton esprit mon appel comme un cri,
J’échappe à la raison dans les désirs sordides,
Regarde-moi noyée dans un vide morbide.
J’étouffe derrière les murs de l’ennui,
Et me cache sous le rideau de la nuit,
Je saigne des larmes couchée dans l’obscurité,
Car au fond de tes yeux, j’ai vu l’éternité.
Petite fille discrète et romantique, j’ai grandi dans l’ombre d’une sœur affectueuse mais extravertie et sûre d’elle. Une mère attentionnée, un père souvent absent mais dont chaque instant passé à ses côtés m’apportait tendresse et sécurité. Plus timide que ma sœur Nathalie de cinq ans mon aînée, tout le monde avait tendance à me dorloter et à se soucier du moindre de mes désirs. Un sourire sur mes lèvres ou un instant de gaîté spontanée était perçu comme une victoire. J’étais choyée et peut-être même surprotégée. Une belle enfance en y regardant bien. L’adolescence n’est pas la pire période de ma vie non plus. J’y ai gravée d’excellents souvenirs afin de construire la jeune adulte. J’étais plutôt jolie à l’époque. Mes cheveux étaient longs et soyeux et je pesais bien quinze kilos de moins. J’étais gaie, je souriais à la vie, à l’amour, pour cela j’avais un atout. La fraîcheur des mes vingt ans. Julien était mon petit ami, nous avions le même âge et nous fréquentions depuis presque un an. Beau garçon, peut-être pas selon les critères de magazines à la mode mais un visage harmonieux éclairé par de grands yeux noirs. Gentil et cultiver, je pouvais discuter de tous les sujets avec lui et j’adorais ça. Nous allions très souvent au cinéma voir des films d’action, j’aimais déjà ce genre à l’époque, mon ami m’accompagnait pour m’être agréable mais au fond, il n’aimait pas trop s’enfermer dans les salles obscures, un autre art le faisait vibrer. La musique. Julien jouait très bien de la batterie et c’est derrière ces fûts qu’il était le plus heureux. Combien d’heures ai-je passé à l’écouter répéter dans son garage ? J’aimais le voir jouer autant que l’entendre, je le trouvais sublime, animé par la ferveur. Je ne sais pas à cette époque si j’étais réellement amoureuse de lui. Probablement pas suffisamment sinon, je lui serais restée fidèle. Maintenant quand je repense à cette époque, j’aimerais remonter le temps et ne pas commette la pire erreur de ma vie…
Je préparais un diplôme d’assistante de gestion puis il y a eu l’inévitable stage en entreprise. Grâce à une amie de ma sœur, j’avais dégoté une place dans un cabinet d’expertises comptables des plus réputés. Dès les premiers jours, j’aurais dû avoir des doutes. Un important client avait commandé un audite sur sa multinationale, il passait au cabinet très souvent. Trop souvent. Naïve gamine, j’étais flattée par ses compliments et ses petits sourires charmeurs m’invitaient à la rêverie. Certes, il était plus âgé que moi mais quel charisme. Un physique attrayant, toujours élégamment vêtu, je le revoie encore au volant de sa superbe voiture de sport. Qu’avais-je à espérer d’un tel homme ? Rien. Tout au plus, voir mon nom ajouté à la liste de ses aventures, un trophée à rajouter à son tableau de chasse. Je ne pouvais imaginer la suite des évènements.
Je me sentais bien auprès du Docteur Jekyll, il m’invitait dans les grands restaurants, m’offrait des cadeaux et ne tarissait pas d’éloges sur ma beauté. Je n’avais pas encore croisé la route de Mister hyde. C’est à cette époque que, la tête à l’envers, je décidais de ne plus voir Julien et lui fis beaucoup de peine. Quelle imbécile ! J’avais des rêves. Des rêves pour la petite fille que je n’avais jamais cessé d’être.
Crédule, voire carrément hypnotisée, je fondais aux douces paroles sorties de sa bouche de serpent. Jusqu’au jour où j’acceptais de passer la soirée chez lui. Cet homme m’impressionnait alors être invitée chez lui, c’était comme un témoignage d’affection et peut-être même d’amour. Je n’ai pas hésité un instant. Il vivait seul dans une très belle maison aux abords de la ville. Une fois les grilles du parc refermées, j’entrais dans ma cage de torture mais ne le savais pas en cet instant. Heureuse de partager l’intimité de l’homme dont je commençais à m’éprendre. Puis il y eut ses gestes brusques, sa bouches avides, ses mains trop pressantes, les coups et pour finir la cave. Cette maudite pièce où mon calvaire s’est inscrit à jamais dans chaque fibre de mon corps et de mon âme. Ensuite, il m’a libérée comme on ouvre une volière afin que l’oiseau s’envole. Je revois son sourire et j’entends encore ses remerciements pour « services rendus ».
Qui aurait imaginé que cet homme était capable de tant de cruauté ? Personne en définitive. L’affaire fut étouffée rapidement. Mister Hyde connaissait du beau monde et moi, pauvre gamine aux jupes trop courtes et aux rêves trop hauts, je fus montrée du doigt comme une coupable. Coupable de chercher le scandale afin de salir la réputation d’un notable à l’avenir politique déjà tracé. Je ne peux plus laisser tout cela dans les oubliettes de ma mémoire. Comme un geyser longtemps contenu, le flot remonte en puissance, il m’inonde de l’intérieur et m’étouffe.
Vincent a douze ans, il écrit dans son journal intime. "Il faut que je te dise ; je viens de me dégoter un super livre à la bibliothèque ; Bilbo le hobbit, je l’ai presque terminé. C’est vraiment bien, il y a des nains, des araignées géantes, un magicien, de grands aigles intelligents et un dragon. Le héros est un petit bonhomme malicieux. Il découvre un anneau dans les profondeurs d’une montagne et quand il le passe à son doigt, il devient invisible. Comme j’aimerais posséder un tel objet. Je pourrais disparaître chaque fois que ma mère veut me frapper ou m’engueuler.
Hier elle m’a passé le savon habituel : « Regarde-toi, tu n’es pas beau. Tiens-toi droit et relève la tête. Tu ne feras jamais rien dans la vie, tu es bien comme ton père. Un raté. As-tu fini de nettoyer la cave ? As-tu sorti les poubelles ? As-tu ramassé le linge ? Et ta chambre, elle est propre au moins ? Et puis lève-toi du milieu, tu es toujours dans mes jambes… »
Elle me reproche de ressembler à mon père mais elle ne me parle jamais de lui. Je ne l’ai jamais vu, pas même en photo. Il n’a jamais cherché à me connaître alors…
J’ai souvent rêvé de lui, le visage flou. Quand j’étais petit, j’imaginais souvent la même scène ; il frappait à la porte, j’ouvrais et nous restions un moment sans parler. Nous nous regardions. Puis il me prenait dans ses bras, me soulevait et m’emportait loin. Après, je rêvais que nous vivions dans une grande maison à la campagne avec des chats, des chiens et des poneys. J’imaginais des fêtes d’anniversaire avec des copains et des cadeaux. Je regardais mon père et malgré son visage imprécis, je discernais son sourire. Maintenant, je ne parviens plus à rêver de lui, pourtant, je fais de gros efforts pour que renaisse mon beau rêve. Impossible. Je suis grand, c’est probablement la raison.
Enfin, pour en revenir à hier soir, le savon terminé, elle m’a forcé à finir mon assiette de cassoulet. Je n’aime pas ça. Elle le sait et m’oblige à manger toute la boîte. Les claques sont tombées et j’ai tout avalé. Après, je suis allé vomir dans le jardin pendant qu’elle prenait son bain, j’avais mal au ventre… Elle ne m’a pas entendu parce qu’elle avait bu du whisky. Beaucoup de whisky. Quand je suis entré dans la salle de bain pour me brosser les dents, elle s’était endormie dans la baignoire. Je l’ai regardée. C’est peut-être vrai qu’elle est belle. Ses cheveux mouillés étaient ramenés en arrière et son visage si pâle m’a paru magnifique. Elle a un grain de beauté sur la bouche. C’est joli.
Mais pourquoi ne m’aime-t-elle pas ? Toutes les mamans aiment leurs enfants alors pourquoi pas la mienne. Moi je la hais. Des fois je voudrais qu’elle meure mais rien que d’y penser, j’ai du chagrin et j’ai envie de pleurer. Elle est ma mère."